En mars 2007, un horrible drame secouait
Trois-Rivières, alors qu'Alain Piché tuait ses
parents. Les victimes ont été décapitées et engouffrées dans un congélateur
de la maison familiale. Atteint de graves troubles mentaux, Piché doit-il être tenu criminellement responsable de
ses crimes? Le juge Claude C. Gagnon doit en décider vendredi. Le Journal
présente le récit de cette histoire qui n'aurait jamais dû se produire.
Alain Piché
dort paisiblement dans sa chambre lorsque des policiers à la recherche de ses
parents disparus débarquent chez lui. «Ohé! Il y a quelqu'un?»
Après s'être levé et avoir fait le tour
de la maison familiale de Cap-de- la-Madeleine
avec eux, Alain suit les policiers au sous-sol. Étrangement, Alain refuse
d'ouvrir la porte verrouillée d'une petite pièce.
C'est derrière cette porte, finalement,
qu'on découvrira dans les minutes suivantes les corps décapités de ses
parents, dissimulés dans un congélateur.
On se demandera pourquoi Alain a tué ses
parents d'une façon aussi horrible, en mars 2007.
Atteint de sévères troubles mentaux, l'homme de 37 ans croit être le Messie
d'une race imaginaire de 5 millions de personnes. Et qu'il a pour mission
de sauver tous ces gens persécutés. Mais il est persuadé que des conspirateurs,
ses parents en tête, veulent l'en empêcher. Il doit donc les éliminer. Sa
mère commence d'ailleurs à le craindre...
Pour comprendre toute la dynamique, il
faut remonter un peu avant sa naissance.
Alain Piché
est né le 26 septembre 1970 d'une mère coiffeuse et d'un père qui se destinait d'abord à
la prêtrise,
mais qui est plutôt devenu bibliothécaire.
Catholiques très pratiquants, Lucie
Fournier et Gaétan Piché ont élevé leur fils
unique dans ce climat religieux.
Un mal héréditaire.
Alain Piché
n'était pas encore né que son
père avait déjà contracté la schizophrénie, une maladie qui se transmettait génétiquement chez les Piché : deux
soeurs de Gaétan Piché
en étaient aussi atteintes.
Ce facteur héréditaire n'épargnera
malheureusement pas le jeune Alain.
Le jeune réservé, taciturne et solitaire
était la risée des autres à l'école. Embarrassé par des tics qui lui
agitaient sans cesse les yeux, il dissimulait son regard derrière ses
cheveux.
Il éprouvait aussi de la honte face à la
schizophrénie de son père, qui devenait de plus en plus évidente.
Cette intolérance face à la maladie de
son père aurait poussé l'adolescent à insister auprès de sa mère pour
qu'elle place son époux en maison d'accueil.
Gaétan Piché a
vécu dans ce foyer d'accueil le restant de sa vie, venant toutefois passer
ses week-ends à la maison familiale.
«C'était un bon monsieur, tranquille,
qui lisait beaucoup, confie la responsable de la résidence. Il était très
instruit et intellectuel. Il ne parlait pas beaucoup, il ne dérangeait
personne. Le
dimanche, il allait à la messe avec sa femme.»
Des voisins bizarres.
Chasser son père de la maison n'aura pas
empêché Alain de développer la même maladie, à l'adolescence. Mais ce n'est
qu'en 2002, à l'âge de 32 ans, après avoir réussi des études en
comptabilité et s'être trouvé un emploi dans le domaine qu'il sera
officiellement diagnostiqué schizophrène.
Comme il n'était pas traité
adéquatement, il continuait à délirer et à entendre des voix. C'est ainsi
qu'il est devenu paranoïaque et s'est isolé avec sa mère : les stores
baissés, les portes verrouillées en permanence...
«Il fallait toujours cogner deux ou
trois fois [et s'identifier]», dit une voisine, Mariette Bergeron, qui a
suivi des cours de Bible avec Mme Fournier-Piché
il y a plusieurs années.
«Il fallait téléphoner d'avance pour
dire qu'on s'en venait, approuve la soeur de
Gaétan Piché. Lui, on ne le voyait jamais.»
Quand la parenté venait les visiter,
Alain restait cloîtré dans sa chambre.
Climat de terreur.
Quelque temps avant le drame, Alain Piché a perdu son emploi et cessé de prendre ses
médicaments, mal dosés pour contrôler ses symptômes, selon son avocat, Me
Michel Pouliot.
Si bien que sa mère, qui avait atteint
le cap des 70 ans, vivait dans la terreur, selon des proches. La dame a
pleuré en confiant à une amie qu'elle craignait son fils.
«J'ai senti que ça n'allait pas, qu'elle
était nerveuse», se souvient sa soeur, Aline
Fournier.
«Elle était fatiguée de la vie qu'elle
avait, ajoute la soeur de M. Piché.
Trois semaines avant, elle me disait qu'elle avait besoin d'aide, qu'Alain
était très malade, qu'il avait empiré.»
Alain, qui avait un tempérament
agressif, selon une tante, s'enrageait quand sa mère parlait de le faire
traiter.
«Peut-être deux ou trois fois, en deux
ans, il y a eu des interventions policières à cet endroit parce que sa mère
tentait de faire ajuster sa médication», indique Me Pouliot.
«Sa mère l'a fait entrer à l'hôpital
deux ou trois fois. Ils le retournaient au bout de deux jours», dit la soeur de Gaétan Piché.
La menace: ses parents.
Dans les faits, ça n'allait pas du tout
dans la tête d'Alain. Il
croyait appartenir à une autre race, c'est-à-dire une communauté imaginaire
de 5 millions d'habitants du sud de la France, selon les psychiatres qui l'ont évalué
après le drame. Il
se percevait comme un Messie venu au monde pour sauver ces gens persécutés.
Dans son délire, il pensait qu'une
conspiration planétaire l'empêchait de secourir sa race fictive et que ses
parents étaient de ces conspirateurs. Son esprit malade voyait en eux des ennemis.
Dans les jours précédant le drame, Alain
a décidé d'aller vivre au sein de cette communauté fictive. Le 15 mars
2007, il a ainsi acheté un billet d'avion pour le sud de la France, le fief
de son «peuple».
Il s'est séparé de son chat, a mis à
jour ses comptes et a signé une procuration à sa mère pour qu'elle vende
son véhicule, selon un rapport psychiatrique.
Mais le lendemain, à l'aéroport, il
s'est souvenu que sa mère ne savait pas faire fonctionner l'antidémarreur de la voiture. C'est pour cette raison
qu'il est revenu à la maison, scellant le destin de ses parents.
De retour chez lui, il s'est enfoncé
dans une crise de schizophrénie doublée d'une psychose paranoïde: des voix lui commandaient de tuer ses
parents, ses ennemis.
Disparus l'un après l'autre.
Le 21 mars, de sa résidence d'accueil,
son père, Gaétan Piché, est inquiet: sa femme ne
répond pas au téléphone. Ils ont pourtant l'habitude de se parler tous les
jours.
À 13h30, il demande à la police de
Trois-Rivières de se rendre chez sa femme. Selon le coroner, le policier
dépêché rue Milot effectue alors une vérification
visuelle extérieure de la maison, ne jetant un coup d'oeil
à l'intérieur que par les fenêtres.
Aucun indice qu'un meurtre s'y est
déroulé quelques heures plus tôt. Il semble n'y avoir personne à
l'intérieur.
Aucunement rassuré par ces observations,
M. Piché prend les choses en main et décide
d'aller vérifier lui même à la maison. Une
décision qui lui sera fatale.
M. Piché
quitte sa résidence d'accueil sans révéler sa destination.
Personne n'a plus jamais revu M. Piché vivant. Pas plus que son épouse.
Meurtres brutaux.
Gaétan Piché a
été attaqué dans l'entrée de la maison familiale, alors qu'il portait
toujours ses vêtements d'hiver.
M. Piché a
bien tenté de se défendre, mais l'assassin l'a agressé très violemment :
atteint à la rotule avec une machette, la victime a aussi eu des côtes
fracturées. Selon le coroner, M. Piché est mort
de fractures du crâne multiples avec enfoncement.
La veille, Alain avait réservé le même
sort à sa mère. Il avait toutefois eu le temps de nettoyer la scène avant
l'arrivée de son père.
Attaquée dans la salle de bain, Lucie
Fournier-Piché avait été atteinte pas moins de 18
fois, à la tête et au cou, par une arme piquante et tranchante. Elle était
morte quand son fils l'a décapitée, probablement à l'aide d'une scie.
Après avoir nettoyé la salle de bain, il
a enroulé le corps de sa mère dans une couverture, pour ensuite le traîner
dans les escaliers. Au sous-sol, il l'a camouflé dans le congélateur. Idem
pour son père.
Selon les psychiatres, Alain Piché aurait décapité ses parents et sectionné
l'alliance de son père pour couper le lien familial, condition nécessaire
pour sauver sa race.
Congélateur trop propre.
Ce n'est que le lendemain matin que le
propriétaire de la résidence d'accueil rapporte la disparition de M. Piché: c'est la première fois qu'il ne rentre pas
dormir.
Deux patrouilleurs se rendent au 495,
rue Milot dans l'après-midi. Ils réveillent Alain
Piché et font le tour de la maison avec lui. Au
sous-sol, un détail les frappe: la porte d'une petite pièce est
verrouillée. Et Alain Piché refuse de l'ouvrir.
L'intervention d'un serrurier est nécessaire. À l'intérieur, du linge
ensanglanté jonche le sol près d'un congélateur étincelant. Un amas de
nourriture décongèle au sol.
L'un des policiers ouvre le couvercle du
congélateur. Horrifié, il entrevoit les deux corps, empilés l'un sur
l'autre. Les têtes gisent à leurs pieds, côte à côte. L'agent referme vite
le couvercle et somme son collègue d'arrêter Alain Piché.
Il ouvre de nouveau le couvercle. Puis réprime un haut-le-coeur.
Depuis le drame, Alain Piché est traité avec une médication dix fois plus
puissante qu'auparavant. Il réalise ce qu'il a fait et il en est peiné,
assure Me Michel Pouliot.
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