Une
approche du phénomène religieux.
Par Michel Thys – Novembre 2010
Article complet.
Une approche inhabituelle
(neuroscientifique) du phénomène religieux.
Sans vouloir simplifier ou réduire l’infinie
complexité du psychisme humain, et en particulier le phénomène religieux, à des
« mécanismes » psycho-neuro-physio-génético-cognitivo-éducatifs (ouf !), n’est-il pas légitime de
compléter son approche traditionnelle (philosophique, métaphysique, théologique,
psychanalytique, anthropologique, sociologique …) par l’apport des
neurosciences ?
Entendons-nous bien : les neurosciences ne
prétendent évidemment pas démontrer l’inexistence de « Dieu » (par définition,
aucune inexistence n’est démontrable).
Elles sont cependant susceptibles
d’influencer la réflexion philosophique et d'inciter certains à conclure à son
existence subjective, imaginaire et donc illusoire.
La peur est commune
à tous les êtres vivants pourvus d’un système nerveux, mais seul l’animal
humain sait qu’il va mourir et aspire à un « au-delà », à «l’immortalité de
l’âme ».
C’est sans doute pour compenser la faiblesse
corporelle des premiers hominidés que la sélection naturelle a développé la
bipédie et le langage, ce qui a permis au néo-cortex pré-frontal de l' l'Homo Sapiens de s'hypertrophier, depuis
environ 100.000 ans, et d'imaginer un nouveau mécanisme de défense, au-delà de
l’animisme et du chamanisme : le recours à des dieux protecteurs et
anthropomorphes (plus tard à un seul) dont ils tentaient d’apaiser la colère,
ou de gagner les faveurs, par des sacrifices (hélas encore actuels en islam …
!).
De nos jours et sous nos latitudes, même si
la religiosité décline du fait qu’aucun dieu ne s’est jamais manifesté
concrètement, les croyants monothéistes restent en quête d’apaisement, de
sérénité, de certitudes, d’espérance en un au-delà, et donc de repères, de
vérités révélées, d’absolu, de sacré, de spiritualité, de transcendance, d’une relation personnelle
avec Dieu au sein d’une communauté, etc. Les religions en ont fait leur fond de commerce.
Comment expliquer
cette fréquente persistance de la sensibilité religieuse et, à des degrés
divers, l’anesthésie de l’esprit critique de certains croyants dès qu’il est
question de croyance religieuse ?
A mes yeux, la foi ne résulte pas d’un choix
vraiment libre.
Actuellement, en effet, « la liberté
constitutionnelle de conscience et de religion» me paraît plus théorique et
symbolique qu’effective, parce que l'émergence de la liberté de croire ou de ne
pas croire est généralement compromise, à des degrés divers. D’abord par
l’imprégnation de l’éducation religieuse familiale précoce, forcément affective
puisque fondée sur l’exemple et la confiance envers les parents (influence
légitime mais unilatérale et communautariste).
Ensuite par l’influence d’un milieu éducatif
croyant qui ne développe pas l'esprit critique en matière de religion, occulte
toute alternative humaniste non aliénante et incite à la soumission.
L’éducation coranique, exemple extrême, en témoigne hélas à 99,99 %, la
soumission y étant totale.
Après Desmond MORRIS qui l’avait pressenti
en 1968, dans « Le singe nu », avec la notion de «dominant/dominé», Richard
DAWKINS estime que la soumission est génétique : déjà du temps des premiers
hominidés, le petit de l’homme n’aurait jamais pu survivre si l’évolution
n’avait pas pourvu son cerveau tout à fait immature de gènes le rendant
totalement soumis à ses parents (et donc plus tard à un dieu).
Déjà en 1966, le psychologue-chanoine
Antoine VERGOTE, alors professeur à l’Université catholique de Louvain, avait
constaté (son successeur actuel Vassilis SAROGLOU le
confirme) qu’en l’absence d’éducation religieuse, la foi n’apparaît pas
spontanément, et aussi que la religiosité à l’âge adulte en dépend (et donc
l’aptitude à imaginer un « Père » protecteur, substitutif et anthropomorphique,
fût-il «authentique, épuré, Présence Opérante du Tout-Autre » (VERGOTE) …).
Les neurosciences
tendent, me semble-t-il, à confirmer l'imprégnation neuronale de la sensibilité
et du sentiment religieux.
Des neurophysiologistes ont constaté que les
hippocampes (centres de la mémoire explicite) sont encore immatures à l’âge de
2 ou 3 ans, mais que les amygdales (du cerveau émotionnel), elles, sont déjà
capables de stocker des souvenirs inconscients, et donc les comportements
religieux, puis les inquiétudes métaphysiques des parents, sans doute
reproduits via les neurones-miroirs du cortex pariétal inférieur. Ces traces
neuronales sont indélébiles, et renforcées par la plasticité neuronale, du fait
de la répétition des expériences religieuses.
L’IRM fonctionnelle suggère que le cerveau
rationnel, le cortex préfrontal et donc aussi bien l’esprit critique que le
libre arbitre ultérieurs s’en trouvent inconsciemment anesthésiés, à des degrés
divers, indépendamment de l’intelligence et de l’intellect, du moins en matière
de foi.
Ce qui expliquerait la fréquente
imperméabilité de certains croyants, notamment créationnistes, à toute
argumentation rationnelle ou scientifique, et donc la difficulté, voire
l’impossibilité de remettre leur foi en question, sans doute pour ne pas se
déstabiliser (cf. le pasteur évangélique Philippe HUBINON à la RTBF :
« S’il n’y a pas eu « Création », tout le reste s’écroule … ! ».
Donc aussi « Dieu… »
Il est logique dès lors que certains athées,
comme Richard DAWKINS, ou agnostiques comme Henri LABORIT, au risque de
paraître intolérants, perçoivent l’éducation religieuse, bien qu’a priori
sincère et de bonne foi, comme une malhonnêteté intellectuelle et morale.
Henri LABORIT l’avait bien compris :
« Je suis effrayé par les automatismes qu’il
est possible de créer à son insu dans le système nerveux d’un enfant. Il lui
faudra, dans sa vie d’adulte, une chance exceptionnelle pour s’en détacher,
s’il y parvient jamais. (…) Vous n’êtes pas libre du milieu où vous êtes né, ni
de tous les automatismes qu’on a introduits dans votre cerveau, et, finalement,
c’est une illusion, la liberté ! ». (Mon oncle d’Amérique » d’Alain RESNAIS).
Dans cette optique,
les conversions religieuses deviennent compréhensibles.
Même si l'on ne peut pas actuellement expliquer
le processus biochimique précis qui enclenche le “switch », l’interrupteur qui
fait basculer de l’incroyance vers la croyance, il se produit un bouleversement
des neurotransmetteurs, un peu comme dans le cas du coup de foudre amoureux. Je
m’explique comme suit, par exemple, la conversion de Paul CLAUDEL, ancien
croyant, en entendant le Magnificat de BACH à N-D de Paris. Tout se passe comme
si, malgré sa brillante intelligence, l’environnement sensoriel (les grandes
orgues, les chœurs, l'odeur d’encens, le décorum, …- avait provoqué un
bouleversement d’hormones et de neurotransmetteurs, au niveau notamment de la
sérotonine et de la dopamine, au point de faire disjoncter son cerveau
rationnel au profit se son cerveau émotionnel. Ce
n’est d’ailleurs pas surprenant lorsqu’on sait que les sensibilités poétique,
musicale, religieuse, …, y ont des localisations voisines, ce qui facilite les
interactions.
Les exemples sont nombreux, dans d’autres
circonstances : par exemple la conversion du docteur Alexis CARREL, qui avait
perdu la foi pendant ses études, et qui l’a retrouvée lors d’un voyage à
Lourdes, ou celle d’Eric-Emmanuel SCHMITT perdu sous le firmament glacial du
Sahara, à 29 ans (même lorsqu'on est issu comme lui d'une famille incroyante,
l’influence de deux mille ans de christianisme se réveille chez certains
incroyants en danger de mort).
Du fait de la sécularisation et de la laïcisation croissantes, de plus en plus d’européens
(sauf les musulmans) désertent les lieux de culte et privilégient l’autonomie
de la conscience et la responsabilité individuelle, plutôt que la
traditionnelle soumission religieuse (sauf en Irlande, en Pologne, à Chypre, à
Malte, Italie,…).
Les religions réagissent donc par des
tentatives de réinvestissement des consciences, de re-confessionnalisation
de l’espace public (surtout depuis Jean-Paul II, le chanoine-président Sarkozy
1er, …) et de re-cléricalisation de la politique
européenne (cf. Par exemple l’ « Opus Dei »), tandis que les sectes, expertes
en manipulation mentale et en abus de faiblesse, spéculent sur la quête de sens
qui subsiste (cf. les évangélistes américains, les créationnistes, etc.).
Il n’y a pas un « retour du religieux », mais de nouvelles
«stratégies» religieuses qui exploitent à la fois la vulnérabilité du psychisme
humain, notre conception de la « tolérance » et le laxisme de certains
politiciens électoralistes qui concèdent des revendications inspirées par la
charia.
Pour que les libertés de conscience et de
religion, et en particulier celle de croire ou de ne pas croire, deviennent
plus effectives que symboliques, il faudrait donc, selon moi, s’orienter vers
un système éducatif pluraliste proposant à tous une information minimale,
progressive, objective et non prosélyte à la fois sur les différentes options
religieuses ET sur les options laïques actuellement occultées, l’humanisme
laïque, la spiritualité laïque, etc.
La religion est une
affaire privée qui n’a pas sa place à l’école.
Elle ne devrait y être mentionnée que lors
d’un cours d’histoire ou de philosophie, parce qu’un un minimum de culture
religieuse fait partie de la culture générale, notamment artistique.
Dans cette optique, l’enseignement
confessionnel apparaît comme élitiste, inégalitaire, prosélyte, exclusif,
anachronique et donc obsolète et inadapté à notre époque de pluralisme des
cultures et des convictions.
Un enseignement pluraliste, au contraire,
compenserait l’influence familiale, celle d’un milieu croyant exclusif et les
inégalités socioculturelles.
Chacun pourrait choisir, en connaissance de
cause, aussi librement et tardivement que possible, ses convictions
philosophiques (OU religieuses, puisque le droit de croire restera toujours
légitime et respectable, a fortiori si cette option a été choisie plutôt
qu’imposée).
Un tel système éducatif permettrait enfin de
rechercher des valeurs communes, « universalisables », parce que bénéfiques à
tous et partout, telles que le respect de la dignité de l’homme, de le femme et de l’enfant, la liberté (effective et non plus
seulement symbolique) de pensée, de conscience et de religion, etc.
L’avènement d’une citoyenneté responsable me
paraît être à ce prix.
Mais cela impliquerait de repenser d’abord les
notions de «neutralité» de l’Etat et de «libre choix» des parents, lequel n’est
pas prioritaire par rapport à «l’intérêt supérieur de l’enfant».
Dans une ou deux générations, peut-être … ?
Michel
THYS à Waterloo : michel.thys357@gmail.com - http://michel.thys.over-blog.org
Références bibliographiques sur son blog
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