Neurones et divin.

Source : Remue méninges - Article de Patrick Jean-Baptiste.

 

Aurions- nous des neurones spécialisés dans le divin ?

Seraient-ils le fruit de l'évolution multimillénaire de notre néocortex ?

Enquête sur ces " neuro-apôtres ", surtout américains, qui dissèquent la religion et la foi.

 

L'arrivée de la conscience s'est réalisée comme une métamorphose : c'est l'effet papillon, un battement d'ailes neuronal, qui nous a emportés dans un monde d'intelligence, de représentation, de démence", résume joliment le neuropsychiatre Boris Cyrulnik.

Retour sur la préhistoire de la spiritualité. Au commencement était un singe hardi, pas trop mal pourvu en cervelle, quittant de plus en plus souvent ses arbres pour explorer, en bipède, de nouveaux territoires rendus accessibles par la sécheresse. A quoi songe-t-il alors, il y a des millions d'années, dans sa savane africaine, à part à boire, manger et copuler ? Son instinct lui dicte de s'éloigner la nuit des points d'eau où les prédateurs guettent les proies venues s'abreuver. Il tire parti de l'expérience de son groupe, où ses chances de survie sont plus fortes. D'ailleurs, en même temps qu'il développe une habileté manuelle (étant moins occupé à grimper), notre grand ancêtre perfectionne surtout, dès quatre millions d'années avant notre ère, une aptitude vitale à reconnaître les siens.

Vitale, et peut-être même sublimée : on a retrouvé sur un site d'australopithèques, en Afrique du Sud, un galet rond percé de deux trous (deux yeux ?) et rayé d'une fente (une bouche ?). Anthropomorphe mais a priori inutile, cet objet façonné par les éléments a été récolté il y a trois millions d'années et conservé à une dizaine de kilomètres de sa carrière d'origine.

Son propriétaire a-t-il pu être fasciné par son reflet sculpté ? Avait-il la capacité de s'y reconnaître ? Rien n'interdit de le penser.

Les paléontologues suivent aujourd'hui aisément l'évolution cérébrale des hominidés, car tous les vaisseaux méningés s'impriment en creux dans les boîtes crâniennes qu'ils récoltent. Or, ils constatent que les hominidés ont commencé très tôt à développer des asymétries - ou petalia - au niveau des lobes frontaux. (Voir Sciences et Avenir n° 622, décembre 1998.) Ces mêmes lobes - qui seront amenés, au fil de l'évolution, à traiter de plus en plus d'informations entre les aires auditives, visuelles, sensorielles et motrices - ont aussi contribué à faire émerger la conscience de soi et celle d'autrui. Leur asymétrie ne cessera d'ailleurs de se développer jusqu'à culminer chez Homo sapiens sapiens, l'homme moderne capable de morale, de symbolisme et d'abstraction.

 

A cerveau différent, monde différent.

Il y a 2,5 millions d'années, le premier Homo développe des bosses du langage (les aires de Broca et de Wernicke). A défaut de parler, il vocalise, en même temps qu'il perfectionne une industrie lithique : aligner des sons ou enchaîner une série de gestes participe du même processus, selon les neurologues. Et c'est armé d'outils de plus en plus tranchants que, non content de dépecer des cadavres (y compris ceux de son espèce, le cannibale !), il s'enhardit à chasser. Sur le plan cérébral et social, c'est une révolution. Chasser requiert une stratégie inventive, la répartition des morceaux de choix, une hiérarchie subtile et des comportements complexes d'offrandes, d'échanges, de suppliques... "La viande et ses protéines ont agi comme un supercarburant pour le cerveau", analyse le paléontologue Pascal Picq, du Collège de France. La cuisson, via la domestication puis la maîtrise du feu, entre 1,4 million d'années et 550 000 ans avant notre ère, a considérablement accéléré le processus, selon des diététiciens anglais et américains. Nous ne sommes plus seulement ce que nous mangeons, nous devenons ce que nous cuisinons.

Notre crâne n'étant pas franchement élastique, la surface de notre cerveau se plisse, favorisant de nouvelles connexions cérébrales. Les zones frontales du cerveau prennent toujours plus de volume chez les premiers hommes, confrontés sans cesse à de nouveaux défis sociaux et environnementaux. Ils s'aventurent hors d'Afrique, s'adaptent aux rigueurs hivernales de l'Europe et de l'Asie, construisent des abris durables, renforcent les liens de leur clan, dont la démographie et la durée de vie ne cessent de croître. "Chez tous les primates, le volume du néocortex - spécialement le lobe frontal - est directement corrélé à la taille du groupe et à ses habiletés sociales", observe sur le terrain Robin Dunbar, de l'université de Liverpool (Grande Bretagne). Une gestation de plus en plus en longue a certainement favorisé, chez les primates, le développement cérébral des fœtus, tandis qu'une enfance prolongée permettait un plus long apprentissage social. Nous sommes - comme les chimpanzés de grands enfants qui passons un quart de notre vie à devenir adultes. Et c'est ainsi qu'adolescents attardés, nous acquérons la maîtrise consciente et toujours plus efficace des paysages et de leurs ressources.

 

Théorie du corps, théorie de l'esprit.

Qu'est-ce qui anime nos croyances ? Une porte qui claque ? C'est un courant d'air, se dit-on. Nous faisons alors appel à un système de physique naïve, encore appelé théorie du corps. Des sourcils se froncent chez un interlocuteur ? Nous imaginons, via une psychologie intuitive, qu'il est en proie au doute, voire à la colère. Cette théorie de l'esprit implique la détection de l'état émotionnel de son interlocuteur. Les bébés de 5 mois sont déjà capables de physique naïve, ont démontré les pédiatres. Chez les hominidés, pour qui établir des liens sociaux était une question de vie ou de mort, la faculté de "deviner" ses congénères a été favorisée par l'évolution en même temps que se développait l'anthropomorphisme, ce qui explique pourquoi, sur de multiples continents, les dieux sont à l'image des hommes.

Ces deux dispositions, théorie de l'esprit et théorie du corps, nous ont conduits à attribuer des intentions à toute chose, ou plutôt à rechercher pour tout des causes intentionnelles. Cet agent intentionnel nous est devenu indispensable, comme la lumière à une plante verte. Quitte à prendre le pas sur la véracité des faits.

 

Un altruisme intéressé.

Est-ce alors que l'inceste devient réellement tabou ? Cet "interdit" est pratiquement respecté chez des singes dotés de lobes frontaux bien moins développés que les nôtres, comme chez d'autres mammifères. A-t-il quelque chose à voir avec la morale ? Sur le plan évolutif, s'apparier avec un individu trop proche génétiquement contribue au suicide de l'espèce : c'est courir le risque d'accouchements prématurés, de maladies génétiques ou de débilité congénitale. Encore faut-il, pour l'éviter, pouvoir se montrer sélectif, c'est-à-dire vivre comme notre homme premier dans des groupes dont la taille ne cesse de se développer.

Ce dernier se montre de plus en plus respectueux envers les membres de son clan. Il est intéressé lorsqu'il favorise l'altruisme et la coopération : un tel comportement renforce les chances de survie de toute société, y compris celle d'insectes à peine pourvus de neurones comme les fourmis, ainsi que l'a démontré l'Américain Richard Dawkins, auteur du Gène égoïste. Mais via ses lobes frontaux, notre homme préhistorique développe aussi l'empathie, c'est-à-dire la capacité à se mettre à la place d'un autre, prélude indispensable à l'établissement d'une morale.

 

Mort de l'individu et naissance de l'art.

Vie sociale organisée, empathie... L'homme en devenir entretient chaque jour une vie fragile. Sous l'emprise de la mort, inéluctable et omniprésente. Il y a 400 000 ans, les néandertaliens choyaient ainsi leurs cas sociaux atteints de torticolis congénital ; il y a 200 000 ans, ils mâchaient la viande de congénères édentés (voir Sciences et Avenir n° 656, octobre 2001). Sinon, comment ces derniers auraient-ils survécu plusieurs années à leur handicap, comme le révèlent les fouilles archéologiques ? Son larynx s'étant peu à peu abaissé, notre homme est bientôt capable de mettre en mots ces nouvelles règles qui régissent la vie sociale du groupe. Sur le plan de l'évolution, un "effet papillon ", dirait Boris Cyrulnik.

Est-ce alors qu'il devient un être spirituel ? Ce processus s'est en fait amorcé beaucoup plus tôt, dès que l'homme a commencé à entretenir des relations angoissées avec la mort.

Il faut s'y résoudre : les croyances sont bien plus anciennes que l'homme moderne, apparu il y a seulement 160000 ans environ (lire Sciences et Avenir n° 677, juillet 2003). 350 000 ans avant notre ère, de très vieux néandertaliens jettent ainsi leurs cadavres au fond d'une même tombe -un puits alors naturel-, révèlent des fouilles menées dans la sierra Atapuerca en Espagne. ils leur font même vraisemblablement des offrandes symboliques.

Peut-être ne songent-ils d'abord qu'à s'épargner l'incommodante putréfaction des cadavres. Mais au fil des millénaires, les rites mortuaires deviennent de plus en plus sophistiqués : en Afrique, on écorche le crâne des morts que l'on polit et conserve amoureusement, au Moyen-Orient, on couche les corps sur des litières de fleurs, ailleurs on les enterre, puis on les brûle, avec force incantations. Peut-on poser la question : "pourquoi ?", de façon plus claire ?

"Les préoccupations d'Homo sapiens avaient un caractère existentiel et philosophique", ose Emmanuel Anati, spécialiste de l'art préhistorique. Car l'art des origines témoigne avec brio des capacités d'abstraction de ces esprits humains, dès 50 000 ans avant le présent.

On devine qu'il se double de rites initiatiques qui ne sont pas accessibles au commun des mortels. Sinon, comment préserver le mystère ? Les chefs d'œuvre décorant les parois des cavernes déclenchent alors des émotions qui constituent une sorte d'antidote rassurant à l'angoisse de la mort. "L'homme se projette dans l'au-delà, croit en l'existence d'un autre monde, à la différence de l'animal qui vit dans le présent, analyse le préhistorien Jean-Pierre Mohen. Il s'extrait ainsi de sa condition biologique, de son statut de mortel."

Cette maturation, dont on commence à savoir laquelle, de la biologie ou de l'évolution sociétale, a permis à l'homme mystique d'émerger, est au cœur de l'ouvrage de Patrick Jean Baptiste*. Journaliste à Sciences et Avenir, il nous détaille l'essentiel de ses recherches en montrant comment les sciences du cerveau expliquent, voire localisent la religion et la foi qui animent notre espèce depuis des millénaires.

 

Rachel Fléaux-Mulot.

La Biologie de Dieu, Patrick Jean-Baptiste, Agnès Viénot Editions Homo religiosus 

 

La biologie de la foi.

Et si Dieu, les rituels, le mysticisme... bref, la religion dans son ensemble n'était qu'une activité cérébrale particulière ? Des neurobiologistes répondent oui. Les expériences se multiplient. Le triomphe du scientisme ?

Même de grands scientifiques s'y laissent prendre.

Récemment, Richard Dawkins, le célèbre promoteur du "gène égoïste", s'est livré en personne au psychiatre canadien Michael Persinger, presque pieds et poings liés, puisque ce dernier lui a mis sur le chef son fameux casque Octopus, un dispositif de stimulation magnétique transcrânienne (voir Sciences et Avenir n° 652, janvier 2001). Objectif : provoquer chez le grand savant une altération de conscience particulière proche de l'extase mystique, au dire de Dawkins, l'expérience ne fut guère probante, le simple fait qu'une célébrité cautionne les travaux de Persinger est un signe des temps, d'ailleurs finement analysé par le journaliste scientifique américain John Horgan. Dans son livre Rational Mysticism (1), il part à la rencontre de ces grands scientifiques, de plus en plus nombreux outre-Atlantique, qui ont aujourd'hui tendance à se prendre pour des gourous ou s'intéressent davantage à la spiritualité et à la métaphysique qu'à la physique. De son côté, Michael Persinger est persuadé que les expériences religieuses, les extases ou les transes, les théophanies c'est-à-dire les apparitions de Dieu (ou de la Vierge, ou de quelque autre déité) - dépendent strictement d'une modification interne au cerveau, en l'occurrence des lobes temporaux. Avec son accessoire électromagnétique, le neuropsychiatre canadien pense modifier l'activité électrique du lobe temporal droit, prétendument responsable, à l'occasion de crises d'épilepsie partielles, de ces apparitions mystiques, mais aussi des lobes pariétaux, susceptibles quant à eux de produire ce sentiment de fusion avec le cosmos que d'aucuns appellent le nirvana.

Depuis une trentaine d'années maintenant, des scientifiques, américain, pour la plupart, traquent Dieu dans le cerveau. A la suite des travaux pionniers de Wilder Penfield, dans les années 1950 et 1960 - qui stimulait directement le cortex lors d'opérations neurochirurgicales -, ils tentent de démonter les mécanismes neuropsychologiques de la foi et de la religion, ravalant du même coup Homo religiosus au rang d'un primate de laboratoire. On peut les qualifier de neuro-apôtres, car ils nous apportent une bonne nouvelle, comme les apôtres des Evangiles : Dieu existe, au moins dans les méninges. Si l'on peut mettre en doute le sérieux d'un Persinger, d'autres chercheurs moins farfelus comme Eugene d'Aquili ont bien étudié les mécanismes neurophysiologiques de la prière ou de la méditation. D'autres encore, sans se revendiquer de cette tendance "neuro-apostolique ", ouvrent, tel Marc Jeannerod, d'intéressantes perspectives quant aux raisons cognitives de la croyance en Dieu.

La neurobiologie est sortie de ses frontières habituelles. Les travaux des neuro-apôtres en sont un indice assez révélateur, celui d'une dérivation, souhaitable ou non, de cette science.

De ce point de vue, la recherche d'une explication biologique aux phénomènes religieux ne diffère en rien des travaux visant à comprendre ce qui déclenche l'acte d'achat dans le cerveau du consommateur (voir S. et n° 631, septembre 1999) ou à expliquer les rêves sans Freud (voir S. et A. n° 668, octobre 2002). En ce début de XXIe siècle le positivisme (2) - et réductionnisme matérialiste qui lui est inhérent - est arrivé à un point de rupture. Les sciences du vivant, en particulier, les neurosciences, prétende même implicitement qu'un jour elles pourront tout expliquer, tant en théorie qu'en pratique. C'est l'une des raisons pour lesquelles il n'est pratiquement plus un spécialiste du comportement humain pour se passer d'une dimension " neurologique" dans ses recherches et que se multiplient les spécialités à préfixe " neuro" : les neuropsychiatres - persuadés que les maladies mentales dépendent toutes de dysfonctionnements physiques dans le cerveau (la pierre de folie médiévale remise au goût du jour) -, les neuropsychologues, Ou même les neuro-anthropologues et les neurolinguistes.

Au-delà des problèmes de méthode - plus exactement d'épistémologie - que posent ces différentes dénominations, il ne fait cependant aucun doute que les neurosciences obtiennent des résultats tangibles. Les progrès de l'imagerie cérébrale ou l'inventaire sans cesse réactualisé des déficits cognitifs associés à des lésions du cerveau permettent maintenant de comprendre grosso modo où a lieu telle ou telle opération cognitive, comment fonctionne la perception, ou encore de localiser les régions cérébrales impliquées dans tel ou tel comportement... Pourquoi pas religieux ? Ce n'est donc pas sans bonnes raisons que les neuro-apôtres se sont lancés dans leur croisade.

Toutefois, leur démarche n'est légitime qu'à une condition : que le fait religieux ou l'expérience religieuse soit d'une nature spécifique et distincte du reste des expériences humaines.

Sans quoi, rien ne différencieraient "neurologiquement parlant" l'extase mystique de l'orgasme ou l'illumination d'une banale hallucination due, par exemple, à une épilepsie temporale. Il est en fait quasi impossible de ne pas tenir compte des attentes culturelles de ceux qui vivent ce type d'expérience, mais ce problème n'est pas insoluble.

Contrairement à l'école française de psychologie, relativement peu intéressée par la religion, l'école américaine dont héritent les neuro-apôtres a toujours considéré, depuis l'époque de William James (18421910), que la psychologie de la religion était une discipline à part entière, tout à fait légitime. Autrement dit, que les attentes culturelles restaient fondamentalement déterminées par leur substrat humain, entendez psychologique ou, pour parler en termes modernes, neuropsychologique. Pour l'école américaine, la culture ainsi que la religion, évidemment fonction l'une de l'autre, peuvent s'étudier par la neurobiologie. D'une certaine manière, les neuro-apôtres vont jusqu'au bout du postulat matérialiste, et c'est ce qui les rend intéressants.

Pas un aspect du phénomène religieux ne leur échappe. Tout les intéresse, même si, la plupart du temps, ce sont les expériences mystiques et certaines altérations de conscience comme les expériences de mort imminente, les transes ou encore les visions qui suscitent le plus d'observations directes et la construction des modèles physiologiques les plus complets. Ils ne se limitent toutefois pas à la simple description de ces phénomènes. Leur attribuer une cause première est l'autre tâche qu'ils s'imposent. Au "comment" croit-on en un être divin s'ajoute donc le "pourquoi". La question existentielle par excellence.

Or ici, l'avantage des neuro apôtres sur tous leurs prédécesseurs philosophes ou théologiens est évident : leur matérialisme les libère de tout scrupule, de toute culpabilité. Que Dieu existe ou non leur est généralement indifférent. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils soient totalement dépourvus de croyances. En la matière, leur dogme est celui que tous les biologistes partagent, à quelques rares exceptions : le darwinisme. Si une grande majorité d'humains possèdent une religion et croient en Dieu, c'est qu'au cours de l'évolution s'est opérée une sélection naturelle qui a fini par favoriser, au moins dans leur cerveau, les structures qui allaient tout aussi naturellement les conduire à croire. Comme on le voit, ces scientifiques n' ont pas l'intention de froisser les croyants. Après tout, s'il existe et s'il a créé la nature, il est assez logique qu'elle ait fini par produire Homo religiosus. Le statut le plus précaire, dans toute cette affaire, ce serait plutôt celui d'Homo scientificus !

Le croyant et son cerveau

 

Trois expériences religieuses au microscope.

Visions, rituels, hallucinations ou simples démarches spirituelles librement choisies...

Ces phénomènes présentent d'étranges similitudes neuronales.

Quelles frontières entre pathologie et sentiment divin ? C'est tout l'objet des recherches actuelles.

 

Scanner de l'extase.

"J'avais une sensation d'énergie centrée en moi, qui partait vers l'espace infini puis me revenait, avec un profond sentiment d'amour. Les frontières autour de moi se dissolvaient. Je me sentais intensément relié à toute chose" (1), témoigne le bouddhiste Michael Baime.

 

"J'ai ressenti un sentiment de communion, de paix, d'ouverture. La sensation d'être tantôt centrée dans le silence et le vide absolu, tantôt remplie par la présence de Dieu, comme s'il infiltrait tout mon être" (1), lui répond en écho Soeur Céleste, nonne franciscaine.

L'un se fond dans le cosmos, l'autre se sent en union avec Dieu. Malgré leurs différences culturelles, leurs expériences de l'extase ont d'étranges résonances.

Le bouddhiste et la franciscaine font partie d'un groupe de moines et de moniales invités à méditer et prier dans le laboratoire d'Andrew Newberg et d'Eugene d'Aquili, respectivement neurophysiologiste et anthropologue des religions à l'Université de Pennsylvanie (Etats-Unis). Les cobayes devaient tirer sur une cordelette libérant l'injection d'un traceur radioactif dans leurs veines lors qu'ils pensaient être parvenus au sommet de leur expérience. Les chercheurs ont alors enregistré en direct les variations chimiques de leur cerveau, via un tomographe à émissions de positons, appareil ultra-sophistiqué d'imagerie cérébrale.

Chez tous leurs sujets, les scientifiques ont observé alors une nette diminution du flux sanguin au niveau des lobes pariétaux supérieurs (voir images ci-dessous). Comme si certains faisceaux neuronaux se mettaient en veilleuse.

Or ces aires cérébrales ainsi "éteintes" traitent les informations sur le temps et l'espace.

Elles sont dévolues à la distinction entre le soi et le non-soi. "Si l'on empêche l'influx sensoriel d'accéder à cette région, comme lors de la méditation, le cerveau perçoit alors le moi comme sans fin, étant lié à tout et à toute chose", analyse Andrew Newberg. Prudent, il. précise : " Il n'y a aucun moyen de déterminer si les modifications neurologiques associées à l'expérience spirituelle signifient que c'est le cerveau qui provoque ces expériences ou si, au contraire, ce dernier perçoit une réalité spirituelle. "

 

La cité de la joie.

"Cela fait 2500 ans que les bouddhistes enquêtent sur le travail de l'esprit ", rappelle Tenzin Gyatso (2). Le XIV me dalaï lama encourage depuis bientôt quinze ans la collaboration entre bouddhistes et scientifiques, et notamment Richard Davidson, de l'Université du Wisconsin (Etats-Unis). Ce dernier a observé que les bouddhistes pratiquants avaient un lobe frontal plus irrigué - plus lumineux au scanner - même en dehors de l'exercice de méditation. Un acte volontaire purement mental, cognitif, altère profondément la conscience et les équilibres physiologiques de l'organisme. "Ils sont également capables de mieux contrôler leurs amygdales (lire pp. 14-15), des parties du cerveau associées à la peur et à la colère", remarque-t-il. De même, ils encaissent avec beaucoup plus de "flegme" que n'importe qui des sons brusques et inattendus, un coup de feu par exemple. " Non que les bouddhistes tibétains soient nés plus calmes ou plus heureux que toute autre personne, mais ils ont développé des réponses méditatives au stress ", conclut le chercheur.

Et c'est là la bonne nouvelle : exercice volontaire purement mental, la méditation est accessible - à force de concentration évidemment - aux athées.

 

Les visions révélées par l'épilepsie.

Même bonne chrétienne, rien ne prédisposait l'Américaine Gwen Tighe à donner un jour naissance à l'Enfant Jésus. Pourtant, quand son petit Charlie est né, elle a cru avoir accouché du Sauveur. " N'est-il pas merveilleux de former la Sainte Famille ? "rayonnait-elle, au grand désarroi de son mari Bernie, qui ne se voyait pas dans la peau de Joseph.

Rudi Affolter, de son côté, était à 43 ans totalement athée... jusqu'à ce qu'une vision terrifiante le persuade qu'il était mort et avait plongé tout droit en enfer en raison de son impiété.

Au XVIe siècle, ces deux " illuminés" auraient été brûlés. Au XXIème siècle, ils ont été invités à témoigner à la BBC, dans un documentaire diffusé en avril. Tous deux souffrent d'une épilepsie du lobe temporal (ELT). Un syndrome caractérisé par une forte incidence de convulsions fébriles, des sensations de déjà-vu, voire des hallucinations visuelles ou auditives.

Le cerveau des épileptiques serait-il ainsi plus disposé aux crises de foi, aux conversions subites ? L'hypothèse n'est pas nouvelle. Freud suspectait déjà un lien entre les élans mystiques de Dostoïevski et sa maladie. Gregory Holmes, neurologue de la Dartmouth Medical School (New Hampshire, Etats-Unis) a démontré que l'Américaine Ellen White, fondatrice d'un mouvement de douze millions de fidèles, les adventistes du septième jour, " avait souffert d'un choc à la tête, responsable chez elle d'une centaine de visions". L'histoire est ainsi jalonnée de grands mystiques témoins d'apparitions : Moïse, saint Paul, Bernadette Soubirous ou sainte Thérèse de Lisieux ont également d'intéressants profils d'épileptiques. Il serait ridicule de limiter la religion à une pathologie. Par ailleurs, la psychologie du mystique, ses constructions intellectuelles, son histoire et surtout le contexte de sa conversion déterminent puissamment le sens que l'épileptique donne à ses visions.

A l'Université de San Diego (Californie), Vilayanur Rarnachandran travaille à préciser ainsi jusqu'à quel point les lobes temporaux jouent un rôle clef dans l'expérience mystique. Le chercheur a confronté des sujets normaux et des patients atteints d'ELT, comme Rudi et Gwen, à des mots neutres (table, chaise), érotiques (sexe, coït) ou religieux (Dieu, prière), etc. il a ensuite enregistré la réaction physiologique de ses cobayes et notamment leur sudation. Tous les sujets montraient plus ou moins d'excitation devant les mots à connotation sexuelle. Sauf les patients atteints d'ELT, qui transpiraient abondamment devant les mots à connotation religieuse. " Leur peau était comme galvanisée ", témoigne le neurologue. " Cela leur faisait une impression bien plus forte que le sexe. "

 

Des rituels pour des toqués.

Les pratiquants fervents sont-ils plus fréquemment victimes de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) que les personnes moins religieuses ? Claudio Sica, de l'Université de Parme (Italie), a identifié une corrélation entre le degré de piété et la fréquence des TOC. Du moins chez les catholiques romains. Des prêtres, des nonnes, des diacres, de simples pratiquants et des personnes dépourvues de tout engagement religieux ont été soumis à des tests visant à détecter ce type de désordres psychologiques qui font se laver les mains jusqu'à vingt fois par jour ou vérifier cent fois que la porte est bien fermée. Résultat : les dévots sont les plus atteints.

Attention, souligne Lyrme Drummond, psychiatre au St. George Hospital de Londres : un patient doit avoir des prédispositions génétiques pour développer de tels syndromes. Toutefois, la majorité d'entre eux avoue avoir reçu une éducation stricte, où chaque action était définie, sans nuance, comme blanche ou noire, bien ou mal... Aurait-on ainsi fabriqué des lignées de TOCqués ?

Plusieurs théories neurophysiologiques supposent que les mécanismes cérébraux impliqués lors des rites religieux, très stéréotypés et répétitifs, sont les mêmes que durant les TOC. L'anthropologue californien Alan Fiske a ainsi recensé au moins cinq points communs entre les TOC et les rituels religieux. Tous deux ont notamment à voir avec l'idée de contamination et de pureté. D'où des rites de purification ou de lavage de mains dix fois par jour.

TOC et rituels peuvent traduire la crainte d'un événement terrible à venir si des gestes préventifs ne sont pas accomplis. Les prescriptions rituelles, règles de précaution, visent à écarter le danger.

Tous deux consistent encore en des comportements répétitifs et séquentiels ou encore sous-tendent souvent un refus des pulsions sexuelles. Enfin, ils accordent une grande importance aux couleurs et aux nombres.

En somme, la religion et ses rites rassurants attirerait les " toqués ", et les chamans, les premiers, l'auraient bien compris, il y a des millénaires de cela, en inventant les rituels sacrés ! Le rite en effet joue un formidable rôle anti-stress... Qu'il s'agisse de s'endormir avec son nounours, de croiser les doigts avant un rendez vous ou de formuler une prière.

R. F.-M.

 

Chimie de la terreur.

Le fanatisme est-il une molécule ?

Le fanatisme est un comportement présent dans de nombreuses sociétés, qui relève rarement de la pathologie. Plutôt d'une activité spécifique de certaines régions d'un cerveau sous influence.

Parce que le terrorisme est aujourd'hui principalement le fait de groupes islamistes et parce que les extrémismes semblent particulièrement vivaces au sein de certaines grandes religions, la tentation est forte de vouloir réduire le fanatisme en général au fanatisme religieux. Ce serait bien entendu une erreur s'il fallait s'en tenir aux définitions. Toutefois, force est de constater que même les extrémistes du marxisme ou du nationalisme développent, dans leurs actes comme dans leur rhétorique, un comportement que le sens commun qualifierait volontiers de religieux. Le sacrifice de soi (et surtout des autres) au nom d'une cause finit par faire de cette cause un efficace succédané divin, en tout cas un objet virtuellement doué d'intention, pourvoyeur de règles et de lois, d'une morale et de valeurs, d'une vérité transcendante, exactement comme Dieu (ou les dieux s'il s'agit d'un polythéisme). Auquel cas, le fanatisme, quel qu'il soit, est toujours un autodafé, c'est à dire un acte de foi, comme l'ont encore illustré récemment les immolations par le feu de Moudjahidin du peuple d'Iran. Et puisqu'il s'agit ici de traiter de la biologie de la foi, considérons que le fanatisme en fait partie, et même qu'il est la quintessence de la psychologie religieuse, sous sa forme sectaire.

En effet, ce qui caractérise le fanatique est qu'il appartient nécessairement à une organisation ou une coalition restreinte se tenant soit en marge de la société, soit en son sein, mais disposant sur elle d'un fort pouvoir. Les sectes comme celle des davidiens aux Etats-Unis, qui s'est retranchée dans une lutte suicidaire contre le FBI, ou les zélotes de Massada, il y a 2000 ans en Israël, sont des exemples de groupes fanatiques marginaux. Ce qui n'était pas le cas en revanche des SS dans l'Allemagne nazie, des Khmers rouges au Cambodge ou des Assassins à l'époque des croisades. Le fanatisme n'est donc pas un phénomène individuel, mais collectif. Cette remarque est un préalable important si l'on souhaite en comprendre les causes biologiques, ou plutôt neuropsychologiques. Les sciences sont contraintes de généraliser, ce qui serait impossible si le phénomène à étudier n'était pas reproductible.

A l'heure actuelle, relativement peu de scientifiques " durs "s'y sont attaqués hormis des anthropologues ayant acquis quelques notions de neurosciences ou des neuropsychiatres, si bien que les raisons invoquées pour expliquer ce comportement restent encore très largement du domaine de la psychologie traditionnelle. Par exemple, un psychiatre américain, Jerrold Post, distingue deux types de personnalité, l'" anarchiste idéologue " et le " nationaliste sécessionniste " chez les terroristes, tous deux résultant de traumatismes de l'enfance, et considère que ce genre de fanatique agit " plus en fonction de ses besoins psychologiques qu'en raison du désir d'améliorer la situation sociopolitique des masses". L'anarchiste idéologique serait en rébellion contre l'autorité de ses parents, le nationaliste ne souhaitant qu'une chose : s'en dissocier. La tendance à vouloir considérer le fanatisme comme une pathologie psychiatrique est très majoritaire à l'heure actuelle. Elle a cependant le défaut de ne s'en tenir qu'à la personnalité du fanatique ainsi qu'à d'éventuelles (et possibles) prédispositions traumatiques infantiles, qui n'expliquent pas vraiment pourquoi ce comportement est si répandu de par le monde.

Le fanatisme s'apparente plutôt à une tendance de fond. Une expérience d'économie expérimentale (voir Sciences et Avenir n° 664, juin 2002), réalisée par Damel Zizzo et Andrew Oswald, de l'Université de Warwick, en Grande-Bretagne, avait ainsi défrayé la chronique en montrant pour la première fois que certaines des motivations les plus profondes de notre espèce pouvaient nous conduire à la ruine ou au suicide plutôt qu'à la reddition. Les deux économistes avaient demandé à des volontaires sains d'esprit de participer à un jeu d'argent dont l'objectif était de faire perdre, après une loterie, les autres joueurs en dépensant ses propres gains. Le résultat de l'expérience contredisait toutes les théories économiques en vigueur puisque près des deux tiers des participants avaient préféré tout perdre plutôt que de voir leurs concurrents les plus chanceux repartir gagnants. Agir contre ses propres intérêts et en dépit du bon sens n'est donc pas l'indice d'une pathologie mentale, forcément rare, mais bien une tendance de la psychologie humaine.

Cette tentation de la terre brûlée, jadis repérée par Nietzsche comme l'une des conséquences du ressentiment, est l'un des aspects primordiaux des comportements fanatiques. Quelque part dans le cerveau et sous certaines conditions, un mécanisme à priori contre productif pour l'individu se met en place, une sorte de machine infernale dont nous serions dotés pour la majorité d'entre nous et qui nous pousserait à commettre l'irréparable. Ce sont là les termes d'une équation à x inconnues que la biologie pourrait résoudre. Bien entendu, les volontaires de Warwick ne vont pas tous adhérer aux Moudjahidin du peuple. Mais on sait en revanche jusqu'à quelles extrémités peut conduire le ressentiment : à des actions individuelles aussi suicidaires que meurtrières, telles celles d'un Richard Durn, qui fit feu sur le conseil municipal de Nanterre, ou d'un Baruch Goldstein, qui assassina 29 musulmans au caveau des Patriarches à Hébron. En l'occurrence, ni l'un ni l'autre ne présentaient de troubles psychiatriques avérés et rien ne les prédisposait, au moins dans le cas de Baruch Goldstein, qui était un médecin dévoué et apparemment d'une grande gentillesse, à agir ainsi. Durn ou Goldstein étaient-ils pour autant des fanatiques ? Non, à moins de considérer Durn comme un moudjahid de l'ANPE.

Certains, comme le neuropsychiatre Rhawn Joseph, avancent l'hypothèse que ce genre d'actes isolés résulte d'un dysfonctionnement soudain des corps amygdaloïdes. La stimulation de ces deux glandes nerveuses placées sous les lobes temporaux provoque, chez l'animal, une agressivité durable.

Chez l'homme, pareille corrélation a rarement été observée depuis le cas de Charles Whitman. En 1966, cet Américain au demeurant parfaitement intégré dans la société fut pris d'une pulsion meurtrière irrépressible et se mit à tirer sur des étudiants avec un fusil de chasse. Il fut abattu par la police, et son cerveau disséqué. On y découvrit une grosse tumeur faisant pression sur ses corps amygdaloïdes. Fait troublant, Whitman était resté lucide jusqu'aux derniers moments et regrettait ce qu'il ne pouvait s'empêcher de faire ! Bien qu'il soit possible d'invoquer un éventuel "syndrome amygdalien" pour caractériser ces conduites extrêmes, leur rareté empêche d'y voir une explication satisfaisante au fanatisme. Les fanatiques ne sont jamais seuls comme pouvaient l'être Durn ou Goldstein. Mais membres d'un groupe. Leur comportement résulterait de l'interaction entre leur cerveau et les règles imposées par le groupe.

 

Comme l'a bien décrit l'anthropologue Pascal Boyer, toutes les coalitions, et les religions en font partie, reposent sur une initiation durant laquelle l'impétrant subit soit des sévices corporels, soit assiste à un sacrifice (à valeur exemplaire) et renonce ainsi à sa liberté pour rejoindre la communauté. D'après l'anthropologue, la sévérité de l'initiation ou du bizutage est inversement proportionnelle à la taille du groupe. A cela, le chercheur trouve une explication rationnelle : plus le groupe est restreint, plus la défection d'un de ses membres lui serait préjudiciable. Par l'initiation cruelle et surtout terrorisante, le groupe montrerait au nouveau venu ce qu'il lui en coûterait de démissionner.

"Le châtiment précède la faute et crée chez l'initié un sentiment de gratitude exacerbée envers ce groupe qui l'a épargné", résume-t-il... Quant au sacrifice exemplaire, il procède de la même logique, celle de l'image frappante, par exemple un homme en croix ou la photo d'un chahid (" martyr " en arabe) de quinze ans qui s'est fait exploser dans un bus. L'efficacité de l'initiation est en général accrue par le type de sévices infligés. Les initiateurs témoignent souvent d'une étonnante connaissance des peurs humaines les plus viscérales, peurs qui dépendent d'ailleurs aussi des corps amygdaloïdes et plus généralement de structures cérébrales hypothétiques dont l'existence a été envisagée notamment par Eugene d'Aquili et John MacManus : les structures neurognostiques, littéralement les " neurones-qui-savent ". Elles seraient notamment le siège des peurs instinctives de certains animaux comme les serpents ou les araignées, des cadavres ou de la souillure. Elles causeraient, en cas de dysfonctionnement, nos phobies si caractéristiques.

C'est bien entendu sur ces peurs-là que vont insister les initiateurs. Ils déclencheraient alors chez l'impétrant une surstimulation amygdalienne suffisamment modérée toutefois pour ne pas nuire à la mémorisation. Plusieurs expériences montrent en effet que la peur favorise l'apprentissage. Les corps amygdaloïdes facilitent les phénomènes de LTP (Long Term Potentiation, une modification de la sensibilité de certains neurones lors de l'apprentissage) dans les structures voisines que sont les hippocampes. Mais ils peuvent les inhiber brutalement en cas de suractivité, lors d'un choc psychologique par exemple, provoquant ainsi une amnésie post traumatique. C'est l'hypothèse habituelle des neuropsychologues.

 

Quoi qu'il en soit, si le contrôle de la peur est maîtrisé, il favorise l'apprentissage ou l'endoctrinement. Bien entendu, tous les bizutages ne produisent pas nécessairement des fanatiques. A moins de scruter d'un œil suspicieux nos médecins ou nos ingénieurs Gadzarts (dont le bizutage fait frémir), le but de l'initiation n'est que de renforcer la coalition. La dernière inconnue de l'équation du fanatique dépend donc de son endoctrinement. La remarque de Pascal Boyer concernant la reconnaissance par anticipation de l'initié offre un début d'explication. Cette attitude rappelle irrésistiblement nos cousins les grands primates quand ils se soumettent à un mâle dominant. Que l'on se souvienne de la formule lucide d'Albert Cohen dans Belle du Seigneur à propos des subalternes de notre société : "féminine posture du babouin dominé ". Elle suppose que la gratitude est parfois un paradoxe qui pourrait naître par-delà l'humiliation, le ressentiment et la peur.

Plutôt que de gratitude, les neuropsychologues préfèrent d'ailleurs le terme de "gratification". Elle résulte d'une sorte de "rebond" physiologique dans le fameux "circuit de la récompense ", cette zone critique du cerveau découverte par Olds et Milner dans les 1950. Il s'agit d'un faisceau de fibres à dopamine se projetant sur le noyau accumbens, faisceau parfois défini comme la source de toutes les gratifications et de toutes les motivations, et aussi, pour emprunter à Freud, de toutes les sublimations. Lorsque l'on offre à un rat la possibilité de se l'autostimuler, via des électrodes implantées dans la cervelle, celui ci en oubliera de manger et de boire. En vrai fanatique, il en mourra (si personne n'éteint le dispositif).

 

La neuropsychologie du fanatique repose peut-être sur un déséquilibre complexe et délibérément provoqué, entre la peur, la rage et le plaisir, et les deux ensembles nerveux qui les produisent, les corps amygdaloïdes et les fibres dopaminergiques du mésencéphale. Toute l'astuce de l'endoctrinement est alors d'orienter la gratitude de l'épargné - le fanatique  vers une cause, un dieu, un homme. Pour paraphraser l'éthologue Desmond Morris, quelque chose de l'ordre du mâle dominant symbolique, tyrannique et dangereux, mais aussi miséricordieux envers ses zélateurs.

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Mise à jour le lundi 19 juillet 2010 - * maurice.champion20@wanadoo.fr *