Le Témoignage de Marie.

Puisque je ne suis pas une adepte de la langue de bois, j'ose dire, au risque de bousculer, mais bousculer pour faire avancer la réflexion et surtout pour ne pas s'amarrer dans un seul point de vue réducteur.

La pluralité est un gage de richesse : de tout, un peu !

Bonne lecture.

Marie, le 19 novembre 2008.

 

Je voudrais vous en dire un peu plus sur mon vécu... en psychiatrie où, comme je vous l'ai écrit, j'accompagnais des enfants autistes et psychotiques et leurs familles.  Beaucoup d'interrogations émergeaient face à ces troubles, tant du côté des parents que du côté des équipes qui recevaient les enfants. Tout cela m’a amenée à l'analyse personnelle, au vu des questions existentielles et énigmatiques que ces contacts généraient.

Un jour, après quelques années d'analyse, j'ai moi-même décompensé... Je me suis entendue dire par le psy qui m'accompagnait : « Vous faites une construction délirante »…

Atterrée par cette affirmation, j'ai eu peur. Oui, peur de passer de «l'autre côté», du côté de ceux appelés «malades mentaux». J'ai dû me rendre à l'évidence, j'avais sombré dans ce registre. J'ai déliré... déliré «mystique», comme de bien entendu. J’ai déliré en prise à la genèse, la culture judéo-chrétienne qui est la nôtre, malgré nous parce qu’elle nous est imposée dans la mesure où nous vivons dans ce pays-là.

J'ai travaillé d'arrache pied en analyse pour «ne pas perdre les pédales» en reprenant dans la vie concrète l'un de mes sports favoris pratiqué depuis longtemps avec une certaine intensité. J'ai appuyé sur les pédales de mon vélo avec une force insoupçonnable pour sentir les résistances de la route... Sentir ces résistances pour rester en contact avec des éléments réels. La pratique physique du vélo m’a permis de tenir la route, de rouler droit… parce que j’ai dû reconnaître que j’avais déconnecté… que l’esprit était déconnecté !

Le psy a respecté mon chemin, il n'a pas triché, ne m'a pas menti. Il ne s’est pas dérobé, il ne m’a pas envoyée à l’hôpital psychiatrique. Il est resté présent dans cette situation qui le déconcertait, et l’inquiétait quand même…

Il avouait son ignorance sur l’étrange, sur l'énigme du délire, ce que j'en racontais. Dans le même temps, il restait « curieux » mais attentif. Travail intense, travail douloureux, mais je pense que j'avais un avantage : le fait que je travaillais en psychiatrie, le fait que je côtoyais la pathologie mentale au quotidien.

Ce travail en hôpital psychiatrique a contribué à me faire réagir, à questionner l’étrange en moi, et aussi ce que j'ai appelé «le souffle du délire», sa force. Ce souffle s’intensifiait tout particulièrement la nuit. Je restais éveillée, éberluée d'entendre «sonner les cloches» (hallucinations auditives). J’étais éberluée de sentir une proximité de la mort, etc. (Maintenant, je me demande si le fait d’entendre, de m’entendre «sonner les cloches» n’était pas comme un «commandement à me réveiller…»)

Ce fut terrible, mais j'ai eu la chance de m'en sortir par la parole, avec très peu de médicaments. (J'ai bien sûr pris quelques neuroleptiques, dont le Risperdal). J'en ai critiqué les effets à mon psy. En effet, mon corps, mes capacités physiques se ramollissaient, mais la pensée tournait toujours aussi vite... (Déchaînement des signifiants, les sens des mots me débordaient). J’avais aussi en moi une certaine violence, tant il n’est pas simple d’être entendu par les siens, qui semblent dépassés et par d’autres qui vous disent tout de go : «je n’y comprends rien !»

Pendant quelques semaines, le psy me parlait néanmoins d'une forme de «mission divine» une «mission divine pour sauver le monde» à laquelle je serais «appelée». C’était ses pensées à lui, ses interprétations.  Je les ai réprouvées avec force, mais il a eu difficulté à entendre ma résistance, mon combat contre le «divin» qu'il agitait lui-même... Les consultations au quotidien lui ont fait apprécier ma détermination à m’en sortir, ma rigueur dans ce travail, mon esprit critique qui contrariait ce qu’il tenait à ne pas lâcher : son savoir supposé, ou ce qu’il en restait, sur la pathologie de l’autre, à défaut de prendre en compte ses pensées de psy qui classe et marque un patient sous une étiquette psychiatrique.

Petit à petit me venait le sens d’une mission, pour reprendre son terme, mais non pas au sens du «divin». C’était bien plus pour témoigner de cette expérience singulière, pour dire à d’autres que chacun de nous peut verser dans les profondeurs de l’abîme. Qu’il peut «en revenir» à condition de pouvoir s’exprimer, et surtout de pouvoir être écouté, et progressivement entendu.

J'ai arrêté les médocs très vite, je ne me suis pas laissée emporter par ces molécules. J’en voyais trop les effets sur les patients de l’hôpital. Vous comprendrez peut-être que ces molécules enferment le patient dans ses propres pensées qui sont rapidement annihilées par la chimie.

Je ne m’oppose cependant pas, de façon systématique, aux médocs, mais je pense qu’il serait pertinent de les associer à une psychothérapie pour ne pas laisser s’isoler et s’enfermer la personne en souffrance. C’est dans ces difficultés particulièrement pénibles qu’il faudrait encourager l’expression, mais beaucoup de psychiatres estiment qu’un délire ne veut rien dire, que le patient embête son monde avec ses idées délirantes. Les soins en psychiatrie restent un problème et un lieu « réservé » que les spécialistes de la psychiatrie se gardent bien de questionner. Ils les gèrent avec leurs certitudes et pour beaucoup d’entre eux, il vaut mieux enterrer un délire plutôt que d’essayer de le décrypter. Ils n’apprécient pas être contrariés dans leurs théories, et dans leurs références à leurs maîtres.

J'ai beaucoup parlé, j'en suis venue à l'écriture, à la poésie pour enfin saisir en moi-même, à travers mes mots, à travers l’écriture, que mon délire signifiait quelque chose en prise aux évènements de ma vie, en prise à des illusions, des croyances et des mensonges que d'autres, dans mon entourage, voulaient me faire entuber.

Aujourd'hui, et depuis plusieurs années, j'ai pris des distances avec tout cela, j'ai découvert une capacité des sens des mots, de la langue, de sensations que je ne connaissais pas. J’ai dit dans l’après coup : «Du jour au lendemain, mes yeux se sont ouverts, mes oreilles ont entendu ce que je ne voyais pas, ce que je n'entendais pas, ce qui s’agitait en moi, autour de moi ce qui, jusque-là, était étranger à mes perceptions». J’ai «délu» mon délire pour le relire et j'ai enfin découvert mon être, un être avec qui je suis très exigeante. J’ai acquis une qualité d’écoute liée à une sensibilité qui est loin d’être négligeables dans mon travail actuel.

J'ai qualifié tout cela d'un véritable «tremblement de terre», d'une «révolution». Cela m'a également révélée à une rigueur tant avec moi-même qu'avec les autres, ceux que je rencontre en réunions de travail, les miens dans ma famille, ceux que je reçois, notamment dans mon travail de psychanalyste, psychothérapeute. (Travail commencé en libéral en 1996).

Depuis, je ne crois plus ni à dieu, ni à ses saints et pas plus aux discours des cathos. Je voudrais simplement croire en l'être humain, en ses capacités de rechercher ses propres vérités, de les animer en lien à d'autres… mais le monde qui est le nôtre marche à l'envers, et il est loin d'entraîner ou de respecter ce style d'aspirations.

J'ai perçu les résistances des cathos face à vos questions. Leur non-réponse, ou leur silence, ne m'étonne pas. Ils vous donnent à voir qu'ils se refusent à réexaminer leurs dogmes, les principes dictés par l'église. Une remise en cause de leurs croyances ou de leur foi risquerait de les déstabiliser. Par suite, ils vous laissent entendre, par leurs résistances, qu'ils sont assez fragiles et cherchent à s'appuyer sur le secours d’une «toute puissance supposée» d'un autre, « dieu », auquel ils s'accrochent comme à une bouée de sauvetage.

J'ai aussi vécu ce genre de résistances face à certains qui se disaient «des amis». De même, j'ai vécu les résistances de certains psychiatres et psychanalystes qui ne voulaient pas reconnaître que j'ai pu me sortir de ces épreuves. Il leur est plus facile de prétendre qu'un délire ne veut rien dire, qu'un délirant recommencera à délirer, qu'un psychotique est rangé à vie sous cette étiquette plaquée, telle une tare à vie…

Je n'irai pas jusqu'à généraliser que tout le monde peut s'en sortir. Malheureusement. En effet, le mode de soin en psychiatrie reste timide, assez dogmatique lui aussi, et même étriqué. Le malade mental fait peur et renvoie à notre vulnérabilité. Je veux bien soutenir que des personnes dites «normales» ou «ordinaires» peuvent décompenser pour des raisons aussi diverses que multiples.

Le «secours» que j’évoquais plus haut est à trouver en nous-mêmes, dans notre intimité privée. L’autre réel au sens du vivant, extérieur à nous, est là pour écouter une souffrance, l’accompagner, mais en aucun cas pour dicter ou diriger le chemin de l’être en souffrance. Ce chemin reste individuel et il est à creuser comme un sillon, son propre sillon, et non pas le sillon du voisin. («Délirer», au sens étymologique, signifie «sortir du sillon». Cette définition laisse entendre qu’il n’y aurait qu’une seule voie, un seul sillon… commun à tous. Vous saisirez que je ne peux accéder à un sens aussi réducteur.)

En tant que parent, et vous le dites bien, un travail de prévention est nécessaire pour essayer de faire entendre à d’autres parents que les croyances religieuses ou sectaires ou magiques sont dangereuses pour ceux qui s’y laissent prendre en perdant leur capacité de discernement. Malheureusement, nous pensons à la prévention dans l’après coup, après avoir vécu l’expérience du drame qui nous impose. Ici aussi, nous nous croyions, par je ne sais quelle magie, comme protégés d’un mal dont nous sommes devenus les témoins ou les acteurs… mal ou trouble qui envahit des êtres humains jusqu’à la rupture, jusqu’à la schize…

Après avoir vécu tout cela, après avoir côtoyé des êtres en souffrance, il m’est difficile d’employer «la langue de bois» que je réprouve de toutes mes forces. Je suis une «révoltée» au sens de Camus dans «l’homme révolté»… Une révoltée de bientôt 62 ans. Mon combat ressemble à celui de Sisyphe, Camus encore !

Voilà, j’en ai presque terminé avec ma situation que mon employeur a très mal prise… Il m’a «réinsérée» au placard, sans travail avant de me virer. Je ne mâchais plus mes mots sur l’attention à réserver aux malades. J’avais d’autres idées, d’autres vues pour accompagner les soins. Il m’a trouvée insupportable !

Pendant cette réclusion forcée, j’ai appris à «philosopher» : licence et maîtrise de philo à 50 ans avec, pour mémoire de maîtrise, un travail autour de questions sur la Raison et la Folie. (J’ai posé beaucoup de questions, mais les réponses que j’ai avancées restent ouvertes.)

Sachez que d’autres, en France, sont sensibles à ces trop lourdes difficultés qui gaspillent des vies, mais qui permettent aussi des rencontres assez riches.

Que nous ayons notre part de fardeaux à porter, cela est une réalité à laquelle je crois… puisque je la vis, tout comme vous, là où vous êtes parmi les vôtres.

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Mise à jour le vendredi 23 juillet 2010 - * maurice.champion20@wanadoo.fr *