La Psychose.
Par Marc-Alain Wolf,
psychiatre à l'hôpital Douglas de
Montréal et docteur en philosophie ; membre de Tolerance.ca®.
Il est l’auteur de Dialogue avec le
sujet psychotique paru aux Éditions Triptyque.
La psychose est d’abord oeuvre de
soumission.
Une volonté s’empare du
sujet. Née à l’intérieur de lui mais appréhendée comme puissance extérieure,
elle entraîne tout à la fois une occupation, une révolution et un changement de
régime. Les frontières sont attaquées, l’insécurité s’installe. L’attaque peut
être brutale ou insidieuse, ponctuelle ou diffuse, réversible ou définitive.
Quand les défenses sont mobilisées, ce qui n’est pas toujours le cas, l’étrangeté
envahissante provoque effroi, angoisse et terreur. Le maître des lieux, menacé
dans ses prérogatives de souverain puis dans son existence de sujet, conserve
néanmoins un reste de puissance, de conscience et de distance pour prendre la
mesure de l’événement. Privilège dérisoire et chèrement payé. La psychose peut
refluer, parfois même se résorber. Quand elle s’installe pour de bon l’individu
tente de s’adapter à la terreur en émoussant sa sensibilité et en se détachant
du monde. La psychose chronique ressemble parfois à l’enfer concentrationnaire
décrit par les victimes des grandes persécutions.
Le délire comme compensation.
Le délire est en même
temps une conséquence malheureuse et une compensation à l’événement de la
psychose. Le cadre spatio-temporel cède entraînant la levée d’une contrainte,
d’une limite, mais aussi l’effondrement d’une structure. Le familier devient
étrange, le visage de l’interlocuteur indéchiffrable et l’expérience en cours
imprévisible. L’environnement exerce une pression nouvelle sur l’individu,
comme s’il se rapprochait et menaçait de l’écraser. Une protection naturelle et
inconsciente disparaît. Le délire tente de surmonter ce handicap en substituant
une maîtrise absolue à la décomposition et à l’impuissance initiales. Une
nouvelle vérité émerge qui n’a pas la souplesse de l’ancienne. Fruit d’une
rationalisation que l’on qualifie un peu vite de morbide, elle a le mérite de
masquer et de surmonter (incomplètement) un déficit. Elle représente une forme
de survie sociale du sujet, une résistance à l’autisme et au repli sur soi, une
ouverture à autrui. Son paradoxe est d’être à la fois obstacle et
invitation au dialogue.
Comment se représenter une expérience
hallucinatoire?
On peut d’abord rappeler
le caractère particulier de cette perception: le patient ne confond pas en
général ses voix avec une conversation ordinaire et ne s’étonne pas d’être seul
à pouvoir les entendre. L’hallucination prend place dans un espace qui n’est
pas celui de la perception ordinaire du monde. Monosensorielle et discontinue,
cette perception s’impose au sujet comme une donnée irréfutable et
"supraréelle". Avec le temps néanmoins l’autocritique, le doute, la
remise en question ne sont pas impossibles. Spontanément ou sous l’effet de la
médication, l’hallucination peut perdre une partie de sa force de conviction.
Les réticences et les objections d’autrui sont de nouveau recevables. Le
dialogue reprend.
La paranoïa, mécanisme de défense.
La paranoïa désigne une
réalité clinique et psychologique étendue qui dépasse la sphère médicale. Le
langage courant a adopté le vocable sans dénaturer son sens. Entre le mécanisme
psychologique, le trouble de personnalité et le délire, il existerait une
continuité logique et parfois biographique. La paranoïa peut être aussi
considérée comme un mécanisme de défense universel qui vise, dans certaines
circonstances comme l’émigration ou la persécution, à maîtriser l’environnement
et à réduire la contingence. Il s’agit d’une stratégie d’adaptation qui
permettrait au sujet de développer une vigilance permanente et ne deviendrait
pathologique que si elle se systématise et s’émancipe de la situation
originaire.
La schizophrénie n’empêche pas la
communication
La schizophrénie touche l% de la population dans le
monde. C’est la plus fréquente et la plus invalidante des psychoses chroniques.
Elle modifie la personnalité du sujet, ses relations avec son entourage. Elle
porte atteinte à sa pensée, à ses affects, à sa vision du monde, à ses
capacités d’initiative. Elle se déclare le plus souvent à l’adolescence ou au
début de l’âge adulte. Le rôle de l’hérédité semble établi mais son
déterminisme génétique reste inconnu. Des anomalies morphologiques et
biochimiques du cerveau ont été décrites mais elles ne sont pas spécifiques.
Les psychanalystes parlent de régression, de rupture des frontières psychiques,
de prédominance du rapport verbal sur le rapport objectal. Les thérapeutes
familiaux perçoivent la schizophrénie comme une pathologie de la communication.
Les phénoménologues ont décrit, de leur côté, une perte de l’évidence naturelle
et une constitution défaillante de l’intersubjectivité. Que d’obstacles au
dialogue! L’isolement, le repli sur soi et la marginalité représentent,
aujourd’hui encore, le destin prévisible de ces individus. Et pourtant ils
viennent nous voir, parfois régulièrement et pendant des années. Certains
resteront distants et impénétrables, d’autres au contraire se prêteront au jeu
de la conversation et du partage. Avec le temps et malgré la psychose, des
complicités et des fidélités se tressent qu’aucune rechute et qu’aucun
événement ne pourront détruire. La schizophrénie a beau être une pathologie de
la communication, elle n’empêche pas la relation thérapeutique mais la rend
plus incertaine et plus progressive.
ç Retour
lmlmlml
Page de mon site : http://champion20.monsite.orange.fr
Mise à jour le dimanche
18 juillet 2010 - * maurice.champion20@wanadoo.fr
*