Schizo?…oui! Faire face à la schizophrénie MEMBRE DE LA FÉDÉRATION
FRANCE-schizophrénie |
Avec 10 000 nouveaux cas
chaque année en France, la schizophrénie est, parmi les maladies,
la première cause de handicap des
jeunes adultes.
Lettre
ouverte à Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République
Paris,
le 28 décembre 2008
Monsieur le Président,
Notre association est
apolitique et réunit des électeurs de tous bords, entre autres des personnes
vous ayant élu. Ses adhérents (patients, familles, proches et professionnels)
ont un point commun : être confrontés quotidiennement à l’une des maladies
mentales les plus douloureuses et handicapantes qui soient : la
schizophrénie. Cette maladie neuro-psychiatrique frappe à l’aveugle 1% des
jeunes adultes, entre 15 et 30 ans le plus souvent, quel que soit le milieu d’origine
et sans signe d’avertissement pendant l’enfance. Près de la moitié d'entre eux
n’accéderont à aucun soin spécifique du fait de l’ignorance des symptômes par
la population, de l’insuffisante formation des « intervenants
primaires », de la complexité de la loi de 1990 (qui règle, en hôpital
psychiatrique exclusivement, les hospitalisations sans le consentement du
patient) et du non-respect de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des
patients, pourtant applicable à toutes les pathologies.
Avant de rédiger cette lettre, nous avons envoyé le
texte de votre discours du 2 décembre à nos adhérents en leur demandant de nous
faire connaître leur point de vue. Tous ceux qui ont répondu condamnent le ton
uniquement sécuritaire de votre discours et soulignent qu’en dépit de quelques
précautions oratoires, vos propos ne peuvent que conforter l’amalgame fautif
fait dans l’esprit du grand public entre maladies mentales et violence : la violence ne fait pas partie des symptômes
servant à définir les grandes pathologies
mentales, schizophrénie, dépression, bipolarité etc. Elle ne surgit que
sous certaines conditions, entre autres, l’absence de soins. Par ailleurs,
l’espoir que fait naître chez certains adhérents votre allusion à des soins
ambulatoires sous contrainte (en fait déjà possibles) démontre combien tous
ressentent comme anormal le délaissement de
trop nombreux malades restant sans aide dès que leur état s’aggrave. En effet, au cours des
crises psychotiques, liées ou non à des maladies psychiatriques, du fait de
troubles cognitifs très spécifiques, les patients ne se sentent pas malades,
ils ne sollicitent donc pas les soins dont ils ont pourtant un besoin urgent.
C’est à l’entourage de faire alors une demande d’hospitalisation sans
consentement. Sans celle-ci, le patient est victime d’abandon.
Les mesures que vous préconisez font partie d’un ensemble longuement réfléchi et élaboré d’abord
au Ministère de la Justice dès 2005, puis au Ministère de l’Intérieur en 2007.
Le premier volet en est la loi dite sur la rétention de sûreté et concerne les
malades mentaux détenus car jugés responsables de leurs actes : à quelques
centaines, parmi les milliers qui encombrent les prisons, vous avez offert la
prison-hôpital et promis à d’autres la rétention de sûreté après leur peine. Le
second volet annoncé à Antony traite du sort des patients hospitalisés
d’office, une population très hétérogène. En effet, une minorité de ces
hospitalisés est formée par les auteurs de délits qui auraient pu entraîner une
condamnation : ils se retrouvent à l’hôpital parce que jugés pénalement
irresponsables. On parle alors généralement d’hospitalisations d’office
judiciaires. Les autres hospitalisés d’office le sont sur ordre du préfet
tantôt parce qu’ils se mettent en danger eux-mêmes (le risque de suicide est
très élevé dans ces pathologies), tantôt à cause de troubles généralement
mineurs à l’ordre public : tapages nocturnes, nudité intempestive ou
autres extravagances, tantôt encore par absence de tiers autorisés à signer une
demande d’hospitalisation sans consentement dite « à la demande d’un
tiers ». Ces derniers patients sont gênants pour la vie sociale, mais ils
ne sont pas dangereux.
Les dispositions que vous avez présentées ont été
élaborées en contact étroit avec les associations des familles des victimes
d’agression par des malades mentaux mais, à notre connaissance, sans
consultation de représentants d’associations de patients ou de familles de
patients. Nous le regrettons car nous avons le même objectif : la
prévention des passages à l’acte criminels ou délictueux au cours des troubles
psychiatriques. Qui, en effet, souhaite voir transformé en meurtrier un
proche qui souffre, qu’on respecte et qu’on aime ? Qui, parmi les
patients, souhaite être vu comme un criminel en puissance ?
Malheureusement, les mesures
préconisées nous paraissent totalement inadaptées et nous avons le devoir de
les dénoncer : elles seront contre
productives et leur application entraînera une augmentation des passages à
l’acte. Elles sont aussi en totale contradiction avec les recommandations
internationales basées, elles, sur des résultats évalués.
En effet, vos propositions visant des personnes
ayant déjà passé à l’acte, leur objet se réduit à la prévention de la récidive
par l’enfermement. Vous voulez resserrer les conditions d’hospitalisation et de
sortie de ces malades, or cette mesure aura peu d’effet pratique, les patients
jugés dangereux restant déjà hospitalisés de très longues durées (c’était le
cas du meurtrier de Grenoble). Vous annoncez la multiplication des chambres
d’isolement : non seulement, cela est en totale contradiction avec les
recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et du Conseil de
l’Europe mais il y a un risque prévisible d’augmenter la tension dans ces
services fermés au détriment des personnels non formés au gardiennage et à la
gestion des conflits. L’application de ces mesures conduirait de plus à
consacrer encore davantage de moyens à l’hôpital (sur le seul plan sécuritaire)
plutôt qu’aux soins et à la prise en charge en extrahospitalier, là encore en
contradiction avec les recommandations de l’OMS. Enfin, la transformation
stigmatisante des services de psychiatrie en prison de haute sécurité risque
d’avoir un effet répulsif qui retardera, voire empêchera le recours spontané
aux soins par les malades : le risque de passages à l’acte sera augmenté
d’autant.
En effet, il est prouvé
(evidence based medecine) que la prévention du passage à l’acte en psychiatrie
se fait grâce à un accès aux soins facile et précoce, et à la continuité de la prise
en charge. Or il est de notoriété mondiale, soulignée par
l’OMS, qu’en France l’accès aux soins en psychiatrie est mauvais et que leur
continuité n’est pas assurée partout. De ce point de vue, la
différence d’un point à l’autre du territoire est proprement scandaleuse,
qu’elle ait pour origine l’absence de praticiens en certains lieux ou des
pratiques professionnelles obsolètes. A cet égard, l’OMS a émis 6
recommandations pour la prise en charge des personnes souffrant de pathologies mentales
graves. En France, seulement 3 secteurs publics de psychiatrie sur 830 les
observent toutes, soit moins de 0,4%.
La France a plus de psychiatres et plus de lits
d’hospitalisation que la plupart des pays européens. Elle consacre à la
psychiatrie beaucoup d’argent par 100 000 habitants : de ce point de vue,
elle vient juste après le Royaume-Uni qui occupe la première place en Europe.
La France est par contre, avec le Portugal, le pays qui recourt le moins aux
soins sans consentement : la Haute Autorité de Santé recommande pourtant
d’utiliser cette procédure « dès
lors que l’absence de soins risque d’entraîner une aggravation de l’état du
patient ». L’article L. 1110—1 de notre Code de la Santé Publique
affirme de son côté que toute personne a droit d’accéder aux soins dont elle a
besoin et que chacun doit y aider. Accéder aux soins est donc un droit même
pour celui qui n’est pas en état mental de les solliciter. Pourquoi est-il si
mal respecté ?
Le Ministère de la Santé est parfaitement au courant
de ces dysfonctionnements et c’est à eux qu’il faut s’attaquer plutôt que crier
haro sur des personnes souffrant de pathologies graves et beaucoup plus souvent
victimes qu’auteurs de voies de fait. Les
familles des victimes d’agression par des malades mentaux et les associations
de patients et de familles de patients vous le demandent ensemble. Quelques décisions, pas même coûteuses,
pourraient faire bouger les choses. Nous suggérons plusieurs pistes:
a) Concernant les soins à donner aux personnes dans l’incapacité physique
ou psychique d’y consentir, il faut appliquer à la psychiatrie les mêmes règles
que pour les autres spécialités médicales c’est-à-dire celles du Code de la
Santé publique sur les droits des malades (loi du 4 mars 2002) et abroger la
loi spécifique de juin 1990 qui complique dangereusement le recours aux soins[1].
Des milliers de personnes incapables de consentir sont soignées chaque jour sans
difficulté en dehors de la psychiatrie tant en ambulatoire qu’en milieu
hospitalier. C’est le cas par exemple des personnes souffrant de la maladie
d’Alzheimer et hospitalisées en neurologie, long séjour ou maison médicalisée.
Prises en charge dans un service de psychiatrie, elles sont au contraire
soumises aux contraintes soupçonneuses de la loi de 1990.
b) Il faut mettre fin à la confusion qui règne, dans les faits et
dans l’esprit du public, entre psychiatres et psychothérapeutes, entre soins
psychiatriques (des actes médicaux) et psychothérapies (des actes techniques
paramédicaux). Le régime actuel qui consiste à rembourser toutes les
psychothérapies dès lors qu’elles sont pratiquées par un médecin et elles seules, est une véritable
gabegie tant du point de vue humain que financier. Cela incite trop de
psychiatres (près de la moitié, dit-on) formés coûteusement par l’Etat, à
abandonner leur métier d’origine où ils font cruellement défaut, pour exercer
celui de psychothérapeute ! La Sécurité sociale est ainsi amenée à
rembourser des thérapies dont certaines n’ont pas d’indication médicale et
pourraient être qualifiées « de confort ». Les actes que la Sécurité sociale
devrait prendre en charge au titre d’actes médicaux spécialisés,
devraient être essentiellement : le diagnostic, le choix et l’ordonnance
des soins médicamenteux et non médicamenteux (psychothérapies, thérapies cognitives, éducation thérapeutique etc.), la vérification de l’observance du
traitement et de son efficacité, l’évaluation des effets secondaires pour y
remédier ou les minimiser, l’évolution
du traitement, le contact avec le médecin généraliste. Tous ces actes
devraient être conduits en tenant compte des recommandations professionnelles
de bonnes pratiques françaises ou internationales et en utilisant les
instruments d’évaluation disponibles et validés.
c) L’efficacité des prises en charge non médicamenteuses étant
solidement démontrées, il est indispensable que leur remboursement
soit effectif mais sous certaines conditions. La bonne formation des
thérapeutes est certes une des conditions à exiger, mais il sera tout aussi
important de vérifier l’adéquation de la thérapie proposée au trouble à soigner
et à l’objectif thérapeutique. Elle devrait donc faire l’objet d’une prescription
médicale conforme aux règles de bonnes pratiques et d’un accord préalable de la
Sécurité Sociale. Le prescripteur ne devrait pas être l’exécuteur de la
prescription par déontologie professionnelle et sociale.
d) Conformément au constat de toutes les organisations (d’usagers
et professionnelles), la formation de base des infirmiers diplômés d’Etat ne
leur permet pas de jouer pleinement, en psychiatrie, leur rôle d’auxiliaires
médicaux. Il est donc nécessaire d’instituer une qualification spécifique d’infirmier
en psychiatrie englobant à la fois la facette hospitalière et
extrahospitalière de la profession. Il faut aussi augmenter leur nombre.
e) Pour améliorer la qualité des soins partout sur le territoire,
il faut faire passer le nombre de secteurs publics de psychiatrie respectant
les 6 recommandations pour l’Europe de l’Organisation Mondiale de la Santé (évoquées plus
haut)
de 0,4 à 50% d’ici 2012 pour atteindre 100% en 2014. Cela pourrait se
faire dans le cadre d’un nouveau plan Santé Mentale. Celui-ci devrait inclure
un important volet recherche notamment sur les formes socialement déviantes des
maladies et sur celles que les traitements actuels n’améliorent pas.
f) La tenue rapide d’Etats généraux
de la Santé Mentale faciliterait
la mise en œuvre de ces réformes car, en donnant la parole aux citoyens, ils
aideraient à vaincre certains préjugés et conformismes qui ont freiné jusqu’ici
les évolutions nécessaires.
g) Enfin, il faudrait faire droit à certaines demandes des
associations de familles de victimes de malades mentaux, en particulier la
recherche systématique d’éventuelles responsabilités connexes (raison
d’une absence de soins, de défaut de surveillance, vente d’armes etc.).
Monsieur le Président, c’est seulement en
facilitant l’accès aux soins des malades et en assurant leur continuité
que l’on verra diminuer significativement le nombre des passages à l’acte que
nous déplorons actuellement. Si vous réalisiez cela, Monsieur le Président, les
familles de victimes vous remercieraient, ainsi que nos millions de concitoyens
cibles de ces graves pathologies et tous leurs proches. Nous sommes prêts à
vous rencontrer si vous le souhaitez.
Pour le Conseil
d’Administration de l’association schizo ?
…Oui ! faire face a la schizophrénie :
Marie-Agnès Letrouit,
Présidente, Chevalier de la Légion d’Honneur,
Claude Jacquet, Vice-Présidente,
Dr Paul Cossé, Chargé de Mission pour l’Accès
aux soins.
documents
annexes
Les recommandations de
l’OMS pour l’Europe concernant les services de proximité
o Absence
d’unité d’hospitalisation fermée,
o Plus de 50%
du personnel (tout personnel confondu) travaillant hors des unités
d’hospitalisation temps plein,
o Permanence
téléphonique 24h/24, via un répondeur téléphonique ou un transfert d’appel vers
un soignant du secteur,
o Collaboration
systématique avec le médecin généraliste des patients, notamment dans le cadre
de la prise en charge des affections de longue durée
o Réunion au
minimum mensuelle avec les associations et les familles d’usagers
o Mise en place d’un dispositif de réponse à
l’urgence, via un membre de l’équipe ou un membre rattaché à un pôle
intersectoriel d’urgence,
De plus,
est recommandée l’implication des élus, des usagers, des familles, des services
sanitaires et sociaux dans la politique de santé mentale locale.
Critères OMS –
IMHCN de bonnes pratiques préalables pour des services de proximité
Comparaison
2000/2003, à partir des rapports de secteurs remplis par les chefs de service
(Source DREES) |
2000 |
2003 |
1- Pas de service
d’hospitalisation fermée |
27% |
29% |
2- Plus de 50% des personnels
en extra-hospitalier |
30% |
30% |
3-
Permanence téléphonique constante (si réponse d’un soignant du secteur : 30%) |
66% |
71% |
4- Service toujours en relation
avec les médecins généralistes |
22% |
21% |
5- Au moins une réunion par
mois avec les associations d’usagers et familles |
10% |
5% |
6- Réponse à l’urgence |
85% |
82% |
2003: 23 secteurs sur
830 remplissent 5 critères 3 secteurs sur 830 remplissent 6 critères
ç Retour
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Page de mon site : http://champion20.monsite.orange.fr
Mise à jour le dimanche
25 juillet 2010 - * maurice.champion20@wanadoo.fr
*
[1] Comme notre association l’a montré dans son document « Psychiatrie - L’accès aux soins des personnes incapables de consentir : un droit pour le malade, un devoir pour la société » à consulter sur notre site.